
Aujourd’hui, j’ai envie de vous parler d’une question personnelle que je me pose souvent, et qui concerne les modèles d’entrepreneuriat et d’innovation. Beaucoup d’entre nous admirent Elon Musk, Jeff Bezos ou Bill Gates. Ils sont souvent cités comme exemples de réussite ultime, comme des modèles à suivre. Pourtant, de mon côté, ils ne représentent absolument pas mon idéal d’entrepreneur ni de créateur. Je vais vous expliquer pourquoi, et pourquoi, au contraire, mes véritables modèles sont des figures historiques bien plus anciennes : Laurent de Médicis et son grand-père, Cosimo de Médicis.
Les modèles contemporains : une admiration que je ne partage pas
Lorsque je regarde Elon Musk (Tesla, SpaceX), Jeff Bezos (Amazon) ou même Bill Gates (Microsoft), je vois évidemment des réussites financières indéniables, mais je vois surtout des personnes qui n’ont pas construit elles-mêmes, de leurs propres mains, les systèmes sur lesquels reposent leurs succès. Bien sûr, ils ont eu l’intelligence de saisir des opportunités et de financer des projets, mais ils ne sont pas à l’origine directe des véritables innovations techniques qui font tourner leurs entreprises aujourd’hui.
Elon Musk : visionnaire, mais constructeur ?
Prenons le cas d’Elon Musk. Il est souvent décrit comme un « génie visionnaire » à l’origine de projets spectaculaires comme SpaceX ou Tesla. Mais concrètement, qu’a-t-il véritablement bâti lui-même ? À ma connaissance, Musk n’a jamais écrit une ligne de code significative chez PayPal ou Tesla. Il n’a probablement jamais conçu un moteur électrique, ni une batterie lithium-ion, ni même la moindre architecture serveur complexe indispensable aux véhicules connectés de Tesla.
Derrière lui, ce sont des milliers d’ingénieurs, de développeurs, d’électroniciens dont on parle rarement. Ce sont eux qui bâtissent concrètement le succès des entreprises d’Elon Musk. Sans ces ingénieurs anonymes, les idées de Musk seraient restées ce qu’elles étaient au départ : de belles visions. Certes, Musk a investi, communiqué brillamment et donné une direction générale aux projets, mais ce n’est pas lui qui a construit de ses mains le cœur technologique de ces entreprises.
Jeff Bezos : génie du marketing, mais bâtisseur ?
Jeff Bezos est une autre figure souvent idolâtrée, notamment grâce à Amazon. Pourtant, Bezos n’a inventé ni le commerce en ligne, ni les technologies serveur, ni la logistique qui ont fait d’Amazon ce géant mondial. Il a simplement identifié une tendance forte (internet et le commerce en ligne) et a eu la puissance financière nécessaire pour recruter des ingénieurs capables de construire pour lui.
Amazon aurait probablement existé sans Jeff Bezos. Peut-être sous un autre nom, peut-être autrement, mais le concept du commerce en ligne existait déjà, et sa généralisation était inévitable. Bezos a réussi parce qu’il avait l’argent, le réseau et une vision du marché, mais il n’a pas construit directement la technologie.
Bill Gates : entre deux eaux…
Bill Gates pourrait sembler une exception plus nuancée. Certes, au début, Gates a effectivement écrit du code lui-même, il connaissait la technologie. Mais la véritable innovation qui a lancé Microsoft, le fameux MS-DOS puis Windows, était en réalité en grande partie basée sur des systèmes déjà existants, achetés ou adaptés par Gates, et pas véritablement créés entièrement de ses mains. Il a essentiellement compris comment commercialiser la technologie existante à grande échelle. Une réussite incontestable, mais qui, selon moi, n’est pas comparable à un véritable bâtisseur.
Pourquoi alors, Steve Jobs à la limite ?
Steve Jobs est souvent comparé à ces autres géants. Pourtant, je lui reconnais une différence subtile, mais importante : même si Jobs n’était pas ingénieur à proprement parler, il était obsédé par la création directe, la conception même des produits Apple. Il s’impliquait personnellement dans chaque détail, dans chaque décision de conception, de design, d’ergonomie. Il n’a certes pas écrit les lignes de code, mais il supervisait personnellement chaque aspect technique et créatif, et il concevait lui-même les prototypes. Cette implication directe et profonde dans la création technique et artistique différencie Jobs d’un Musk ou d’un Bezos, par exemple.
Mes vrais modèles : Laurent et Cosimo de Médicis
Mais au-delà même de Steve Jobs, si je devais citer mes véritables modèles personnels, ce seraient sans hésiter Laurent de Médicis (Laurent le Magnifique) et Cosimo de Médicis. Deux hommes de la Renaissance italienne, bien loin de notre époque numérique et de ses milliardaires stars.
Pourquoi ces deux personnages historiques ?
Les Médicis : véritables bâtisseurs d’un monde nouveau
Contrairement aux milliardaires modernes que j’ai évoqués, Laurent et Cosimo de Médicis n’ont pas simplement investi leur argent dans des projets prometteurs ou des idées déjà existantes. Ils ont littéralement construit de leurs propres mains un système bancaire innovant, complètement inédit à leur époque. Les Médicis ont inventé, créé, et mis en place eux-mêmes les bases fondamentales de ce qui allait devenir le système bancaire moderne, avec des instruments financiers comme la lettre de change ou les livres de comptes en partie double, qui constituent encore aujourd’hui les fondations du système financier mondial.
Qu’est-ce qu’une lettre de change, et quel est son équivalent moderne ?
À l’époque des Médicis, au XVe siècle, voyager à travers l’Europe en transportant de grandes quantités d’or ou de monnaies sonnantes était extrêmement risqué, en raison des brigands, des guerres et des conflits locaux. Pour résoudre ce problème concret, les Médicis ont popularisé un instrument financier novateur : la lettre de change.
Concrètement, une lettre de change était un document écrit par lequel une personne (le tireur) ordonnait à une autre personne (le tiré), située dans une autre ville ou un autre pays, de payer une somme définie à une troisième personne désignée. Ce système permettait ainsi de transférer des sommes d’argent à distance sans déplacer physiquement de l’or ou de l’argent. Un marchand pouvait déposer une somme à Florence auprès des Médicis, recevoir en échange une lettre de change, puis présenter cette lettre à Bruges, Londres ou Paris, et récupérer ainsi la somme équivalente directement auprès d’une succursale locale.
L’équivalent moderne exact d’une lettre de change serait aujourd’hui un virement bancaire international ou encore un chèque bancaire : on ne transporte plus physiquement d’argent liquide, mais on déplace simplement la valeur à travers un document électronique (virement bancaire) ou physique (chèque) qui certifie que la personne peut récupérer cette somme auprès d’une banque ou d’une agence financière située ailleurs dans le monde.
Les lettres de change des Médicis étaient ainsi véritablement le premier pas vers le système bancaire international moderne.
Cette innovation a profondément révolutionné le commerce européen en le rendant plus sûr, rapide et efficace, et constitue l’une des plus grandes contributions concrètes des Médicis à l’histoire économique.
La comptabilité en partie double : explication simple et son équivalent moderne
Une autre grande invention attribuée en partie aux Médicis (et popularisée par Luca Pacioli, proche du cercle Médicis) est la comptabilité en partie double, qui a transformé la gestion financière de leur époque. Avant cette méthode, les comptables notaient simplement les entrées et sorties d’argent sans forcément bien contrôler l’équilibre global des comptes. La comptabilité en partie double implique, au contraire, que chaque opération financière soit inscrite deux fois : une fois au débit (l’argent qui sort ou la valeur reçue) et une fois au crédit (l’argent qui rentre ou la valeur fournie). En d’autres termes, chaque entrée a forcément une contrepartie, permettant ainsi un contrôle parfait des finances et la détection immédiate d’erreurs ou de fraudes.
Aujourd’hui, la comptabilité en partie double reste la base absolue du système comptable moderne. Toutes les entreprises, de la plus petite PME jusqu’aux multinationales, utilisent exactement ce même principe, souvent automatisé via des logiciels comptables. Ce système de double écriture garantit la fiabilité des états financiers : bilan comptable, comptes de résultats, livres comptables sont toujours basés sur ce même principe d’équilibre entre débit et crédit.
L’équivalent contemporain le plus direct de ce système ancien est simplement la comptabilité informatisée moderne utilisée partout, dans toutes les banques et entreprises. Les logiciels modernes tels que Sage, QuickBooks ou SAP suivent précisément ce même principe introduit à l’époque des Médicis. Cette méthode permet aux entreprises modernes de fournir des bilans financiers précis, de respecter les normes comptables internationales et de faciliter le contrôle interne.
Les Médicis ont conçu un véritable réseau bancaire européen à une époque où il fallait tout inventer. Ils n’ont pas simplement acheté une bonne idée, ils ont créé cette idée, développé des mécanismes financiers complexes, et l’ont fait concrètement, en personne, avec leurs équipes. C’est pour moi ce qui les rend si précieux, et si inspirants.
Au-delà des intrigues et des crimes : l’héritage concret des Médicis
Je sais évidemment que les Médicis ne sont pas des anges : leur histoire est faite d’intrigues politiques, de violences, voire de crimes. Je l’ai déjà évoqué récemment dans un article que j’ai publié à propos de la série « Médicis : Maîtres de Florence », dans lequel j’expliquais pourquoi, malgré leurs défauts évidents, je voyais en eux des créateurs authentiques, des pionniers concrets d’un système économique dont nous héritons directement aujourd’hui.
Les Médicis, par leur génie propre, ont modifié durablement l’économie mondiale, en inventant littéralement un système qui n’existait pas avant eux. Ils étaient des inventeurs, des créateurs directs, et non de simples investisseurs.
Le rôle crucial des femmes : de Catherine de Médicis à Laurene Powell Jobs, un héritage oublié
Lorsqu’on évoque les Médicis, on pense généralement à des hommes célèbres tels que Cosimo ou Laurent le Magnifique. Pourtant, la dynastie Médicis a aussi vu émerger des femmes extrêmement influentes, à l’image de Catherine de Médicis, sans qui l’histoire de France, voire de l’Europe entière, aurait été profondément différente.
Catherine, nièce de Laurent le Magnifique, devenue reine de France en épousant Henri II, a joué un rôle politique majeur à une époque où la présence des femmes dans les affaires publiques était largement limitée, voire exclue. Régente du royaume à la mort de son mari, elle a su imposer une politique forte, certes controversée, mais incroyablement influente sur les équilibres européens. Au-delà des sombres épisodes qui lui sont souvent reprochés, Catherine fut surtout une mécène éclairée, soutenant activement les arts, la culture, et contribuant au rayonnement de la Renaissance italienne et française.
L’héritage de Catherine de Médicis témoigne que, malgré les préjugés de l’époque, les Médicis avaient conscience de l’importance stratégique des femmes dans les affaires économiques, politiques et culturelles. Certes, Catherine n’était pas banquière comme son ancêtre Cosimo, mais elle a indéniablement perpétué le génie politique et culturel de la famille. Son implication montre que les Médicis, malgré leurs nombreux défauts, accordaient une véritable place aux femmes, leur permettant parfois même d’accéder à des responsabilités qui dépassaient largement celles permises à l’époque.
De façon similaire, à notre époque contemporaine, Steve Jobs a su lui aussi valoriser le rôle crucial des femmes de son entourage. L’exemple le plus parlant reste celui de son épouse, Laurene Powell Jobs. Depuis la disparition de Steve Jobs en 2011, Laurene a non seulement contribué à préserver et à renforcer l’héritage de son mari chez Apple, mais elle a également fondé Emerson Collective, une société d’investissement philanthropique innovante.
Laurene Powell Jobs démontre ainsi que son rôle ne se limite pas à être simplement la veuve du fondateur d’Apple, mais qu’elle perpétue activement la vision créative et entrepreneuriale de son mari, tout en affirmant sa propre vision du monde. Steve Jobs, tout comme les Médicis en leur temps, semble avoir compris que les femmes qui l’entouraient étaient capables de poursuivre et d’enrichir son héritage d’une manière unique et indispensable.
Ce type d’intégration constructive des femmes dans des rôles clés contraste radicalement avec le comportement observé chez d’autres figures contemporaines, notamment Elon Musk. En effet, Musk a été publiquement critiqué pour sa manière assez particulière de traiter les femmes dans ses entreprises.
Un exemple célèbre fut le licenciement brutal de Mary Beth Brown, son assistante personnelle pendant plus de douze ans, après qu’elle ait simplement demandé une augmentation en reconnaissance de ses longues années de loyaux services. Musk décida alors de la licencier, jugeant apparemment qu’elle n’était plus indispensable. Cet incident symbolique, mais révélateur, contraste nettement avec l’attitude plus inclusive et constructive d’un Steve Jobs envers les femmes qui ont contribué à son succès et perpétuent aujourd’hui son héritage.
Finalement, en observant attentivement ces exemples, une différence frappante apparaît clairement. Les Médicis, malgré une époque profondément misogyne, et Steve Jobs, malgré ses propres défauts, ont su reconnaître la valeur stratégique, intellectuelle et humaine des femmes de leur entourage. Que ce soit en politique avec Catherine de Médicis ou dans le monde des affaires et de l’innovation avec Laurene Powell Jobs, ces femmes ne sont pas restées de simples figurantes.
À l’inverse, des personnalités comme Elon Musk semblent avoir adopté une approche plus transactionnelle, voire dure, quant à la présence féminine dans leurs cercles professionnels, privilégiant la performance immédiate au détriment de l’histoire, de l’implication personnelle et de la fidélité.
C’est aussi pour cette raison précise que mes véritables modèles entrepreneuriaux sont plus volontiers du côté des Médicis ou de Steve Jobs que de Musk, Bezos ou Gates. La capacité à intégrer les femmes de manière réelle et durable à la stratégie d’une entreprise, d’une famille ou d’une dynastie témoigne d’une vision plus large, plus pérenne, et certainement plus inspirante de la réussite.
qu’est-ce qu’un vrai modèle pour moi ?
Je ne veux pas minimiser le succès ou l’intelligence des Elon Musk, Jeff Bezos, ou Bill Gates. Mais pour moi, être un modèle, c’est être une personne qui crée véritablement quelque chose de nouveau, de concret, de durable, de ses propres mains ou au moins par une implication directe profonde.
Les Médicis l’ont fait. Steve Jobs, d’une certaine façon, l’a fait aussi. Mais Elon Musk, Jeff Bezos, ou Bill Gates ? Pas vraiment. Eux ont investi dans le génie d’autres personnes, des ingénieurs anonymes qui restent malheureusement trop souvent dans l’ombre.
Mes modèles ne sont donc pas ceux qu’on célèbre le plus aujourd’hui, mais plutôt ces figures historiques, concrètes, courageuses, inventives, créatives, et surtout véritablement bâtisseuses que furent Laurent et Cosimo de Médicis.
Voilà pourquoi je préfère admirer ces hommes de la Renaissance plutôt que les milliardaires stars du XXIᵉ siècle.